mardi 29 mars 2011

Interview Renaud Auguste-­Dormeuil, plasticien - Villa Médicis - 18 décembre 2009


Quels sont les pistes de votre travail d’artiste ?


"Je travail sur la question de l'image de l'acte de guerre. Pas de la position du gagnant, mais plutôt de celui des victimes quelque soit le camp, qui ne voulaient pas la guerre, et qui sont victimes de la guerre. Dans mon travail plastique, ce qui m'intéresse c'est la réflexion sur la fabrication de l'image de guerre. Souvent quand on représente une image de la mort, dans les médias ou en peinture, la plupart du temps, on présente des images des morts et non pas de la mort elle même. Ce qu'on nous montre c'est le cadavre, le résultat de la mort. Ce que j'essaye de faire c'est remonter le fil du temps et d'arriver à un instant T qui parle de la mort. Il ne s’agit de montrer les cadavres, non pas de montrer l'image qui a précédé la mort, mais de parler de ceux qui organisent la mort, les bourreaux. Je fais le constat que je suis incapable de donner une définition de l'art,. La seule chose que je suis capable de faire, c'est poser des questions d'art. La seule question qui m'intéresse est celle de la représentation. Comme je travaille sur l'idée de la mort, cette chose invisible, j'essaye de faire un travail artistique qui consiste à parler des représentations et à fabriquer des images qui parlent d'autres images, des choses invisible. La mort cette chose que l'on ne peut pas représenter. Mon travail consiste à fabriquer des images de la mort."

The day before

"J'ai demandé à un logiciel, qui peut reconstituer des constellations, des ciel étoilé depuis n'importe quel endroit et n'importe quelle date. On renseigne l'heure, la longitude et la latitude de l'endroit où tu es, l'heure et la date, et il te reconstitue le ciel. Il peut ainsi faire les constellation des ciels que l'on pouvait avoir la veille d'un bombardement, ce que les gens on vu en dernier avant leur mort. Je suis partie de Guernica, le tableau emblématique de la seconde guerre de Picasso qui parle de Guernica. J’ai demandé au logiciel de me reconfigurer le ciel étoilé de la veille du bombardement de Guernica, ce que les gens ont vu la veille de leurs morts. La question de la beauté et de la destine est ce qui est écris dans ce ciel. Il est bien évident qu'entre ce ciel là et celui de Bagdad ou celui de New York le 10 septembre 2001, quand ces gens regardent ce ciel là, les gens ont déjà décidé leur mort. Les bourreaux ont déjà décidé qu'ils allaient les tuer. Car le 10 septembre ces gens avaient déjà pris leur billets et savaient qu'ils allaient tuer ces gens, ou que le lendemain, le 25 avril, les allemands savaient qu’à 6h, ils allaient, le lendemain, bombarder Guernica. On est à la fois en face d'un ciel où ceux qui le regardent la veille ne savent pas qu'ils vont mourir, et ceux qui vont tuer savent déjà qu'ils vont tuer le lendemain matin."



The day before_Guernica_April 25, 1937_23:59 

Galerie In Situ / Fabienne Leclerc, paris, 2004


Installation de plusieurs images, 12 bombardements, De Guernica à Bagdad 2, deuxième offensive, en passant par Nagazaki, Hiroshima, etc. Toutes les images sont des impression sur papier, je les vectorise, redessine, pour en faire des grandes images. Ces images sont au format 170x150, format des cartes de l'ING, cartographie de l'Institut National Géographique. Le plafond de la sale d’exposition est recouverte d’un tissu pour qu'il n'y ait aucun reflet sur les images. Les images sont des impressions sur papier sur lesquelles est appliqué une protection brillante (vernis) qui donne l'aspect de la photographie. Tu te vois dedans quand tu es face à la photo, mais il n'y a aucun reflet de lumière extérieur.

Je ne suis pas dans une démarche d'accusation d'un système de pouvoir, mais plutôt sur l'exercice du pouvoir. Pourquoi quand on a le pouvoir pourquoi en faire autre chose que la recherche du bien-être et le bien fondé, la recherche de vivre en paix. Je ne peux pas parler des victimes sans parler des coupables. Je suis obligé de mettre en accusation ceux qui organisent la mort. La mort de la guerre n'est pas une fatalité.

Au sujet du bombardement de Colentry qui a eu lieu en Angleterre dans la banlieue de Londres. Churchill avait demandé à ses services secrets de capter le code d'une machine allemande, ce qu'ils ont réussi, et capté le message comme quoi il y allait avoir un bombardement à Colentry trois jours après. Sciemment il a laisser les bombardements avoir lieu. Il a juste ramené un bus pour rapatrier les écoles. Ensuite, trois jours après les bombardements, il est pris en photo sur les décombres pour communiquer l'horreur allemande, alors qu'il est tout aussi responsable, puisqu'il a laissé faire. (…)




The day before_Star System

Galerie In Situ / Fabienne Leclerc, paris, 2004



Quel est alors le rôle de l’artiste d’après vous ?

L'artiste n'est pas celui qui doit vendre quelque chose du fantasme, de l'imaginaire. Le rôle de l'artiste est de réinjecter du réel dans les fantasmes. Créer des images qui ne sont pas de l'ordre du réel. Le rôle de l'artiste est de parler de choses qu'on ne voit pas, que l'on ne veut pas nous faire voir. Cette mort, comme la joie, ou l'amour, ces choses qui sont irreprésentables. L'art est une machine à fabriquer des images invisibles qui réinvente du réel dans le fantasme. Le fait de parler d'invisible ça ne veut pas dire de parler de quelque chose qui n'existe pas. La mort est une réalité qu'on ne peut pas voir. Et l'art est un outil pour parler de cette réalité qu'on ne peut pas voir. 

Je fais de l'art, alors je travaille sur les questions d'art, comment on fabrique une image. Pour moi, fabriquer une image qui soit belle et qui parle de la mort c'est tout bon art. Et en plus c'est une image qui n'existe pas, qui a été fabriqué, elle a existé à un moment T, ça n'est pas une photographie, et moi je ne fais finalement qu'un travail de représentation de ce moment T qui a existé. Même si le politique peut prendre le dessus sur l’esthétique, de toute façon c'est de l'art, ça n'est pas de la politique, mais çà rejoint le registre politique.

Recherchez-vous une universalité, la disparition totale de votre présence dans vos oeuvres ?

Il y a un jeu sur une universalité des choses. Chaque artiste construit une figure de l'artiste. Je suis dans la maîtrise de ce travail. Je donne l'impression que cela m'échappe. je donne l'impression que ce ciel étoilé ne m'appartient pas, alors que je suis totalement dans la fabrication de l'oeuvre. On est dans une figure de l'artiste où Il est entendu que la figure de l'artiste fait partie de l'oeuvre, qu'on le fantasme. Et moi quand je travaille, je ne fantasme pas cette figure de l'artiste. Je suis obligé dans mon travail artistique, de fabriquer cette figure de l'artiste. En ce moment je travaille sur Galilée. Ses lunettes sont l'outil qui lui permet de regarder une réalité qui n'est pas visible à l'oeil nu. L'art opère ce même usage. L'image de l'artiste capté par l'inspiration divine[1]… non moi je cherche et travaille l'image, je fais un travail de recherche, et je souhaite casser ce fantasme de l'image de l'artiste.

Vous faites reference à Boltanski ?

Oui, j’ai été son élève, lui m'a appris la figure de l'artiste, ça fait parti de l'oeuvre. Quand on regarde une oeuvre, on regarde forcément la manière dont elle a été fabriquée. L'artiste de peut être exclu de l'oeuvre. Moi j'essaye de faire croire que je suis exclu de l'oeuvre, et là tu touches l'universel.
A votre avis comment sont lues vos oeuvres ? Je veux dire, par quells cheminements de pensé passons-nous ou devons-nous passer ?

Il y a marqué the day before, le nom du bombardement. En plus ça commence par Guernica. Au fur et à mesure qu'on avance dans l'installation, on comprend. Il n'y a pas de mauvaise lecture de l'oeuvre. J'ai voulu une brillance dans la photo, pour qu'on se voit dans la photo. Tout ce qu'on voit, ce sont les tableaux qu'on voit derrière, et puis évidemment on se voit dans l'image. Il y a une projection, que je souhaite, de ta propre silhouette dans la silhouette disparue. Car je suis entrain de parler de la mort, et on ne voit pas les morts, mais la seule personne que l'on voit c'est toi. L'idée c'est aussi de se projeter à la place de ceux qui sont morts. Le cheminement est artistique. Après il peut y avoir un cheminement personnel par rapport à l'esthétique, et ce que l'image peut susciter chez toi.

La seule chose qui m'inquiète moi, c'est la mauvaise lecture de l'oeuvre. Donc moi aussi je fais un travail de jardinier. J'ai une idée principale, je coupe les mauvaises lectures, pour qu’il n’en reste plus qu’une. Mon travail artistique est plus un travail de negation, plutôt que de le développer dans un énorme délire. Cette image dit quelque chose et elle ne dira rien d'autre. Après si il y a une seconde lecture qui se rapporte à celui qui regarde, je ne peux pas le maîtriser. Mais moi il est évident que mon image elle doit parler de la mort, et uniquement de cela. De la mort, de l'absence, de l'effacement, de la disparition et rien d'autre. Je ne parle pas d'astronomie par exemple (rires). C’est vrai, je me demandais au début si je mettais la légende ou pas sur l'image, sur le cartel. Si je ne le fais pas, je me donnais à une image d'astronomie. C'est juste des précisions. “


ILS


"En ce moment je travaille sur une performance ici, deux gros projets dont un énorme qui devrait se finaliser cette semaine. C’est un projet de sculpture invisible qui s’appelle ILS : Instrument Landing System. C’est une oeuvre qui traite de la question de la guerre. Elle pose la question de savoir comment les avions atterissent toujours au bon endroit, même quand il y a du brouillard ou quand il pleut? Sur la piste d'atterrissage au début de la piste, il y a deux radars qui envoient une fréquence hertzienne très courte, de même pas un mètre de large, qui envoient deux fréquences : une à l'horizontale et une autre à la verticale. Une fréquence qui monte à 3%, la pente pour un atterrissage d'avion, deux fréquences qui font une croix. L'avion détient un récepteur de radars, ce qu'on appelle l'ILS. A un moment l'avion rentre dans l'ILS, l'avion visualise la croix, ce qui lui permet de se caler, de se placer au centre et de suivre la pente de l'ILS. L'avion doit suivre la pente avec des fréquences sonores, à 600m, 300m, 50m… Ce sont des fréquences qui partent en cône. L'avion arrive, se place dans le cône et plus il rentre dans ce cône, plus ça se rétrécie, et à la fin l'avion est vraiment sur la piste d'atterrissage. Donc ces fréquences représentent une croix sur la piste qui part en cône et qui s'élargie dans le ciel.  Et je trouve cela extraordinaire, c'est une croix invisible que personne ne peut voir et pourtant, qui guide les avions. Par exemple l'aéroport Charles de Gaulle, il y a deux pistes d'atterrissage, donc de chaque côté, il y a huit croix invisibles qu'on ne peut pas voir, et qui font 8 km de long. Là dessus, moi j'imagine bien évidemment une sculpture invisible. 

Sur l'aspect politique et historiques, j'ai fait une demande auprès de l'aéroport de Tempelhof, qui est l'aéroport allemand de Berlin, qui était le seul aéroport en l'Allemagne de l'Ouest. Car Berlin était du côté de l'Allemagne de l'Est, un petit coin qui était dans l'Allemagne de l'Est. Trois couloirs aériens ont permis, entre la chute du troisième Reich en 45 jusqu'en 91 (la chute du mur de Berlin), car Tempelhof était le seul aéroport qui appartenait à l'Allemagne de l'Ouest, aux avions d'attérir, et de ravitailler tous les allemands de l'Ouest qui étaient sur le territoire de l'Allemagne de l'Est. Construit par le troisième Reich, donc par Hitler, l’aéroport a été totalement révolutionnaire , emblématique d'un point de vue d'architecture. Si j’obtiens l'ILS, le radar de Tempelhof, qui a été fermé l'année dernière, j'aurais la sculpture invisible du radars qui a guidé tous les avions depuis la seconde guerre mondiale jusqu'à cette piste d'atterrissage. Il faut savoir qu'il y a 20 ans, l'ancien ILS a été détruit. Et là il s’agit de l'ILS des 20 dernières années. Je suis en négociation final avec l'aéroport de Tempelhof, pour racheter l’ILS. On est trois candidats, les trois derniers candidats, avec l'aéroport de Dubaï et d'Indonésie qui veulent l'acheter pour l'utiliser. Ces ILS sont des très beaux objets, un grand T. Celui de Tempelhof fait 30 m de long, deux poteaux énormes tout rouge, comme des antennes, mais des antennes d'aéroport énormes. 

Ce qui m'intéresse aussi c'est de travailler sur ce projet dans un musée d'art contemporain, que tu rentres dans un salle tu vois quelque chose qui ressemble a une sculpture. Mais en fait ce que tu vois ça n'est pas la sculpture, la sculpture est ce qui part à l'extérieur de la salle de musée. La sculpture n'est pas dans le musée. C'est encore pour parler de cette chose qu'on ne voit pas, qui est à l'extérieur, qui n'est pas ce que tu crois être ce que tu as devant toi.

L'idée d’un centre d'art contemporain d'art dans l'espace public, qui veut faire acquisition de l'oeuvre, pour la mettre dans son parc, et faire des performances avec un hélicoptère qui rentreraient dans la sculpture. J'y suis très attaché aussi car cette sculpture pose plein de problèmes d'autorisation, d'interdiction, pour enclencher ce radar, et en plein paris ce serait très difficile d'obtenir l'autorisation de déclencher l'ILS. Le radar de Tempelhof, fréquence hertzienne 380. Car si on se met sur la mauvaise fréquence, on atterri sur la mauvaise piste. Il y en avait deux sur Tempelhof un 0,25 et l'autre 380, et puis en aéronotique, on doit tout confirmer. J’ai également une exposition personnelle en janvier de l'année prochaine, repoussée à cause de la Villa Médicis, au centre d'art de Montrouge."



[1] Selon Boltanski, la peinture se caractérise non pas par l'habileté de la main, mais par sa vocation religieuse et son pouvoir sacré. C'est dans ce sens que toute l'oeuvre de Boltanski peut être perçue comme la continuité de la tradition picturale : en tant qu'elle interroge la religiosité de l'art.

































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