mercredi 23 mars 2011

Le temps qu’il fait/ le temps qu’il est : Composition 2009 temps, espaces, mémoires

Passionnée par les histoires d’humains, ceux-ci sont pourtant rayés de ses cartes. C’est ainsi que Jacqueline Salmon s’oppose à la démarche du reporter qui s’approprie ce qui est simplement posé devant lui. La photographe fait partie de cette génération de documentariste médiatrice du réel, comme Sophie Ristelhueber, préférant la stratégie du retrait, l’esthétique de l’efficacement à la saisie sur le vif. Elle préfère montrer les lieux et les espaces pour faire appel à la pensée. Isoler le sujet de son contexte pour mieux le percevoir. Couver le réel pour mieux le communiquer.

Constellation de l’origine des demandeurs d’asile



Le processus créatif de Jacqueline Salmon s’opère durant une quasi gestation du réel par une méditation durant laquelle elle recherche un système de signes pour chercher cette nouvelle forme, une nouvelle iconographie, afin de « dire des choses complexes sans employer de mots ». La photographie est pour elle une prise de position philosophique face au monde. Elle cite volontiers Bernard Lamarche-Vadel : « il s’agit d’une manière de lier des choses que la photographie isole apparemment. Et de transcender le médium photographique ». C’est justement ce médium photographique qu’elle utilise mais pour emprunter et restituer le réel. Son aspect de reproduction de la réalité ne permet pas de restituer la complexité des phénomènes. Ainsi seulement, cette distanciation lui permet l’appropriation, et la restitution de mémoires. Cette difficile intelligibilité devient par cette allégorie une plus grande abstraction, une captation minimaliste de phénomènes conjugués. Par un travail de négation, il ne reste que le plus fort, le plus significatif.

Discrète, pudique, retenue, l’artiste est pourtant porteuse d’enjeux radicaux. Femme militante traitant du squat, de l'hôpital, de la prison, des Chambres précaires de SDF. En 2009 ce furent les trente ans de l’activité photographique de l’artiste. Elle désire créer une œuvre totale cette année là en rassemblant tous ses travaux. « Les cartographies douloureuses, de flots humains inscrits dans le contexte d’une histoire imprévisible, c’est celle du « temps qu’il est » Mais je ne veux pas ne m’intéresser qu’à la situation géopolitique d’Evreux, Je désire inclure le climat, « le temps qu’il fait ». La station météorologique d’Evreux sera mon autre pôle de référence. » « De la même manière que les immigrés tracent des parcours qui griffent la planète, les vents, les nuages surplombent la ville, et l’incluent dans une grande peinture mouvante qui recouvre la zone européenne océans et mers adjacentes. Evreux comme un point autrement balayé par des flux. Quels évènements atmosphériques accompagneront mes déplacements ? Sous quels ciels communs à tous dans un lieu donné se feront les recherches et les rencontres ? C’est ce que je désire noter et mettre en forme aussi comme une sorte d’agenda climatique. » Autant de questionnements qui accompagnent son travail.

L’artiste associe des manifestations météorologiques (flux des marées, des vents, mutations des nuages) à celles des hommes (géopolitiques dans leurs portées), pour doter enfin le cadre spatial et temporel du temps qu’il fait une incarnation humain(e) par le temps qu’il est, sans quoi ni l’un ni l’autre, seuls, ne prennent de sens. Ce travail en cours de Jacqueline Salmon trouve ses premières origines en 2000 lors d’un voyage en Italie. Dans un petit musée vénitien, elle consulta un manuscrit attribué à un navigateur hollandais du XVIIIe siècle, dont la particularité était le relevé cartographique des profils côtiers des sites navigués. Distinctes les unes des autres par un contour sommaire, tracé à la plume, ces îles pouvaient s’apparenter à des nuages. Sept ans plus tard, au Québec, la gestation continue, et Jacqueline Salmon cartographie les profils côtiers des îles du Saint-Laurent.

« Ce que l'on pourrait désigner sous le nom d'art topocritique part du fait que la représentation de l'espace humain ne va plus de soi, que les images du monde ne suffisent plus à en décrire la réalité. »1. Il est vrai que les cartes illustrent, simplifient, sélectionnent, permettent de comprendre et de communiquer sur des phénomènes complexes. L’artiste compose ainsi avec le temps, les espaces et les mémoires dans une composition formelle abstraite pour signifier le monde. Elle utilise le vide comme une aquarelliste utilise le blanc du papier. Je pense aux travaux récents de Renaud Auguste Dormeuil, ses cartographies de cieux abstraits pour y faire figurer la mort et ses bourreaux. L’humain n’y est pas présent.

Le travail de Jacqueline Salmon est individuel, elle épuise et brouille les référents collectifs, pour se distinguer dans cette abondance de l’image, pour se distingue de la photographie humanitaire. Elle travaille avant tout un discours engagé qu’elle communique en silence.


1 Extraits de l'article de Sophie Blandinières, L'art contemporain à l'œuvre cartographique au sujet de l'exposition GNS (Global Navigation System) du Palais de Tokyo, 2003



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